• Galenberg

    Galenberg

    L'air glacé lui mordait les orteils, ses dents claquaient dans un rythme soutenu qu'il n'arrivait pas à calmer malgré toute la volonté et la patience dont il faisait preuve. Il se balançait frénétiquement sans se soucier de la douleur qui l'assaillait à chaque fois que son dos rencontrait la dureté du mur. Où se trouvait-il ? Pourquoi ? Depuis combien de temps ? Aucune réponse ne lui parvenait.  Dans cette pièce exiguë, meublée avec le strict nécessaire, il était seul face à lui-même. C'était ce qui l'effrayait le plus.

    L’unique chose qui lui permettait de garder un semblant de lucidité était un souvenir... Enfin ce qu'il pensait être une bribe de son passé, mais il n'était pas certain de sa véracité. À chaque fois qu'il se remémorait ce moment, une étrange sensation de chaleur parcourait ses veines. Il connaissait sur le bout des doigts ce sentiment qui prenait doucement possession de son être, il pouvait même le nommer : le bonheur. 

     

    29 ans auparavant, été 1992.

    Deux bambins, main dans la main, couraient jusqu'au sommet d'une colline. Une fois qu'ils l’atteignirent, les enfants, essoufflés, sourirent béatement de leur exploit. Ils pouvaient observer l'horizon qui était semblable à une peinture : face à eux se déroulait un paysage fascinant et verdoyant. Le vent fouettait leurs visages faisant rougir encore plus leurs joues, déjà colorées par l'effort de leur montée. Pourtant, ils s'en fichaient car tout ce qui comptait était l'instant présent. Ils étaient heureux rien qu'avec le fait d'être ensemble.

    « Mes chéris, où êtes-vous ? »

    Une voix chaleureuse parvenait à leurs oreilles. Cependant, les deux jeunes enfants pouvaient entrevoir l'inquiétude de cette personne qui les appelait.  

    Deux minutes venaient de passer lorsqu'ils décidèrent de la rejoindre. Une femme brune dotée d'un sourire sincère et aimant les attendait en tendant les bras. Ils avaient l'habitude de ce geste et tous les deux allèrent se réfugier dans cette étreinte qu'ils pouvaient qualifier de tendre.

     

    Présent.

    Ses balancements nerveux, sa respiration ainsi que le rythme saccadé de son cœur commençaient à s'apaiser. Il ne ressentait plus le froid grâce à la chaleur apaisante qui se répandait dans son corps. Ces images du passé lui appartenaient, il en était persuadé.

    « En es-tu réellement certain ?

        Qui est là ?

        Qui suis-je ? Qui es-tu ? Des questions bien futiles auxquelles tu ne trouveras sûrement jamais de réponses. »

    Cette soudaine agitation provoquait en son for intérieur des sentiments contradictoires. Qui osait venir le perturber lors de ses seuls moments de tranquillité ? Pris de panique, il amena ses doigts noirs de crasse à ses lèvres pour les mordiller furieusement tout en se remettant à se balancer d'avant en arrière.

    « Tu n'es qu'un monstre qui n'aurait pas dû voir le jour. »

    L'écho de la voix se répercutait jusqu'aux tréfonds de son âme. Des perles d'eau salée commençaient à se former aux coins de ses yeux. Non, c'était faux. Il le savait malgré sa mémoire, qui pouvait parfois se révéler défaillante. « Je suis quelqu'un de bien !  Je suis quelqu'un de bien ! Je suis quelqu'un de bien ! Je suis quelqu'un de bien ! »

    Il se répétait ces mots pendant de longues minutes tout en continuant à se triturer les doigts jusqu'au sang. Tout n'était que mensonge, il savait pertinemment que ce souvenir était le sien, il ne pouvait pas se tromper. Non, il ne pouvait pas se tromper c’était tout bonnement impossible. Les balancements de son corps ne s'arrêtaient pas, mais ils s'accentuaient à cause de cette voix sinistre qui résonnait encore dans sa tête.

     « Ce souvenir n'est qu'une de tes créations. Monstre ! Monstre ! Monstre ! »

    Les hurlements de la voix le faisaient frémir. Pour essayer de vaincre cette apparition inattendue, il ferma les yeux dans une tentative d'évasion vers ce monde où seul le bonheur régnait. Cependant, rien ne se passait. Il était seul, complètement seul et c’était la chose la plus terrorisante. Il n’avait pas envie d'abandonner, il ne voulait pas perdre l'unique chose qui lui permettait d’éloigner la folie et le maintenait en vie. Il souhaitait plus que tout retourner gambader avec cet autre enfant et retrouver l'étreinte chaleureuse de cette femme souriante. Certes, il ne connaissait pas leur identité, mais au fond de lui il savait qu'ils faisaient partie de sa famille. C'est pour cette raison qu'il aspirait à la vie et, dans une tentative désespérée, il ferma une énième fois les paupières. Ce qui l'attendait était loin de tout ce qu'il pouvait imaginer.

     Galenberg

    29 ans auparavant, été 1992.

    Deux bambins, main dans la main, couraient jusqu’au sommet d’une colline. Une fois qu’ils atteignirent ce fameux sommet, les enfants, essoufflés, sourirent béatement de leur exploit. Ils pouvaient observer l’horizon qui était semblable à une peinture : face à eux se déroulait un paysage fascinant et verdoyant. Pourtant, ce qui attirait le regard d’un des deux enfants était le vide. Oui, il était hypnotisé par cette distance qui le séparait du sol. Il se demandait ce que l’on pouvait ressentir lorsque l’on s’élançait dans le vide et si la mort pouvait être le résultat d’une telle folie.

    Il regardait la personne à ses côtés en se demandant si elle aussi était fascinée par la même chose que lui. Ce n'était pas le cas. Cette constatation l'attristait. Il ne pensait pas être le seul à avoir envie de se jeter dans le vide pour éprouver un sentiment fort et grisant. Il quitta des yeux l'individu à ses côtés pour contempler les environs.

    « Saute. »

    Un tremblement se mit à parcourir son être au moment où il entendit une voix, qui n'appartenait ni à lui ni à l'autre enfant. Par réflexe, il eut un mouvement de recul et s'éloigna légèrement du bord.

    « Tu as peur ? »

    Avait-il peur ? Sûrement. Il était tiraillé entre deux sentiments contradictoires. D'un côté il voulait voir ce que cela faisait de se sentir tomber et de l'autre il ne voulait pas mourir, car il savait pertinemment que la mort l'attendait à la fin du voyage.

    « Si tu es effrayé, tu peux essayer avec l'autre enfant. »

    Cette supposition lui fit froid dans le dos, mais en réfléchissant il se disait que cela lui permettrait de répondre à ses interrogations. Non, il ne pouvait pas faire cela à la petite chose fragile à ses côtés ... Cela causerait sa mort, il en était certain. Il débattait encore avec lui-même lorsque la voix ressurgit à nouveau.

    « Fais-le ! Tu en as envie ... tu as ce côté cruel en toi. Tu sais que tu le veux. FAIS-LE. »

    Il ne pouvait pas se résoudre à le faire, cette personne à ses côtés lui était précieuse.

    « Tu ne l'aimes pas tant que ça. »

    Il secoua sa tête, de gauche à droite, pour faire reculer cette voix qui emplissait son esprit. Toutefois, elle disait vrai. La personne à ses côtés l'énervait bien plus souvent qu'il ne l'aurait souhaité. Une pensée le traversa : « Pourquoi pas ? » Et comme un être possédé, il avança vers sa proie et la poussa violemment. Pendant de longues secondes, il regarda ce corps chuter et hurler de désespoir et cela le fit sourire. Il n'avait jamais fait preuve de violence mais ce qu'il venait de faire provoqua en lui le sentiment exaltant qu'il voulait à tout prix ressentir.

    « Tu vois, c'est si simple de se laisser aller. »

    La voix disait vrai, il adorait ce qu'il venait de faire. Il devait se l'avouer. Il en frissonnait d'excitation, il en voulait encore plus. Pourtant, au fond de lui il ne se reconnaissait plus... pourquoi aimait-il ça ? Cette folie n'était pas humaine, cela ne pouvait être réel.

    « Mes chéris, où êtes-vous ? », une voix chaleureuse parvenait à ses oreilles. 

    L'enfant restant leva sa tête vers sa mère, car oui cette femme était celle qui l'avait mis au monde. Il le sentait au plus profond de son être.

    « Où est ta sœur ? »

    Elle était inquiète, cela se voyait et il voulait la rassurer avec son sourire innocent. Toutefois, l'innocence ne faisait plus partie de lui, elle l'avait quitté. Il n'était pas tout à fait lui-même, il n'était plus lucide. Alors, sans ménager la personne en face de lui, il finit par tout avouer, qu'il avait poussé la petite fille qui apparemment était sa sœur, qu'il avait aimé ça. Sa mère se fit très pâle, figée, ne sortant du silence que pour appeler la police. Ce ne fut qu'en les regardant emmener le corps de la petite fille qu'elle fondit enfin en larmes. Il ne sut jamais ce qu'elle avait ressenti ce jour-là, l'étendue de ce qu'il avait provoqué ou détruit chez elle, mais une chose était certaine : il avait été enfermé là où il ne pourrait plus jamais faire de mal à qui que ce soit, et elle n'était jamais venue lui rendre visite.

     

    Galenberg

    Présent.

    Les larmes roulaient sur ses joues. Tout ce qu'il venait de voir n'était qu'un pur mensonge, il ne pouvait pas avoir fait ça. Non, il ne pouvait pas avoir apprécié le sentiment d'avoir poussé sa sœur. Maintenant, il se souvenait de tout et il n'arrivait pas à supporter cette partie de lui. Ça devait être une invention de son esprit.

    « Arrête de te leurrer. Certes, la folie fait partie intégrante de l’être humain, mais toi tu es un monstre. »

    Il n'arrivait pas à vaincre ses démons et affronter la culpabilité qui le saisissait à chaque fois qu'il fermait les yeux. Le sommeil ne voulait plus l'accueillir dans ses bras, car sous ses paupières se cachaient les visages de sa mère et de sa sœur. Il n’arrivait pas à leur faire face. Il n'en pouvait plus d'être enfermé, dans cette pièce froide et sombre, avec ses tourments.

    Quelques jours plus tard, l’hôpital psychiatrique Galen (1) situé à Stockholm annonça la perte du patient Sören Berg (2). Il était âgé de trente-neuf ans et y était interné depuis ses dix ans. L'enfant désormais devenu grand, avait décidé de mettre un terme à sa vie.

    La folie, tapie dans l'ombre, observait quelque chose avec un sourire machiavélique. Elle regardait le corps, sans vie, de son ancien propriétaire suspendu au plafond par ses propres draps. Fière du résultat de son dur labeur, elle attendait la naissance de sa prochaine victime. Ce qui la rendait heureuse, c’était le fait qu'elle n'aurait pas à attendre bien longtemps.

     

     

    (1)   Galen : « fou » en suédois.
    (2)   Berg : montagne en suédois.

     

    Galenberg


  • Commentaires

    1
    Samedi 22 Mai 2021 à 14:05
    Yeeeeah elle est postee *-*
    Genial ! Trop fiere de toi Busan !
    Cette nouvelle est vraiment tres sympa !
    J'ai ete ravi de la decouvrir en avant premiere !!
    J'attends la suivante avec impatience :D
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